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Des mots plein la tête
20 novembre 2023

Fragments d'une vie

Assise sur un tronc d’arbre mort, Oriane regardait danser les flammes de son feu de camp. Augusto, son guide, s’était endormi, la tête sur son sac, et elle songeait à l’imiter. Elle était fatiguée de sa journée mais heureuse. Elle était là où elle voulait être, elle faisait ce qu’elle voulait faire. Quelque part près d’elle, dans ces montagnes que d’aucuns prétendaient inhospitalières, dormait une cité qu’elle allait révéler au monde. C’était une certitude pour elle. Cette cité était là, et l’attendait.

Oriane leva les yeux à la recherche de la lune. Elle brillait de toute sa rondeur au milieu d’un ciel sans nuages. C’était un signe. Oriane était sur le point d’accomplir sa destinée. Elle le sentait.

 

Enfant, Oriane aimait lire. Curieuse, elle pouvait lire n’importe quel livre lui tombant dans les mains, y compris les dictionnaires. C’est ainsi qu’elle eu l’occasion un jour de lire un livre sur l’Atlantide. Ce fut pour elle une révélation. L’idée qu’une telle cité ait pu exister et disparaitre sans qu’on se souvint où elle était située la fascina. Il y avait donc sur terre des régions presque aussi inconnues que les planètes au lointain, des cités cachées qui étaient à redécouvrir.

Elle se jura de partir un jour à sa recherche et la retrouver.

 

Elle était née à Paris, dans le très chic seizième arrondissement, le dix juillet 1951, soit quatre-vingt ans jour pour jour après Marcel Proust. Sa mère, qui avait étudié la littérature, avait insisté pour la nommer Oriane, du nom de son personnage préféré de la Recherche. Son père, Anatole, ingénieur dans le génie civil, et qui n’avait jamais lu Marcel Proust qu’il trouvait chiant comme la pluie avec sa manie d’écrire des phrases longues comme le Danube pour le plaisir, et snob, avait simplement haussé les épaules avant de répondre « si ça peut te faire plaisir ». C’était son deuxième enfant et sa deuxième fille, et il ne consolait de sa déception de ne pas avoir eu de garçon en se jurant que ce serait pour la prochaine fois et qu’il aurait le choix du prénom. Il n’eut qu’à moitié et dû se résoudre à accueillir un Charlus deux ans plus tard.

 

 La rupture avec sa famille eut lieu le jour de ses vingt-et-un ans. Jusque là, le dîner s’était bien passé. Oriane, qui sentait peser sur elle le poids du regard de son père, restait muette ne répondant aux rares questions que par monosyllabes, jouant avec sa petite cuillère quand elle ne mangeait pas.

Et puis, il y eu cette question fatale du collègue de son père, Edmond de Quelque chose: « eh bien, mon petit, te voilà devenue adulte. Il serait temps de songer à ton avenir et te trouver un fiancé. » La main sur la petite cuillère s’était crispée d’un coup. Le regard qu’elle posa sur l’idiot se fit assassin: « il est hors de question que je me marie. Un mari, c’est un bagage trop lourd pour découvrir le monde. »

Il n’eut pas l’audace de répondre. Le père d’Oriane, lui, explosa.

 

 Personne ne sut jamais dans quelles circonstances Oriane trouva la mort, ni même si elle est morte. Ce faisait longtemps qu’elle avait coupé les liens avec les autres. Certains affirmaient qu’elle avait fait une chute en escaladant seule le mont K2, son corps gelé reposant au fond d’une  crevasse. D’autres, qu’elle avait été dévorée par un anaconda en explorant l’Amazonie.

Un certain Alphonse37 racontait sur les réseaux sociaux qu’elle avait perdu la vie dans la Cordillères des Andes alors qu’elle cherchait la fameuse cité El Dorado, qu’elle avait trouvé avant de finir sacrifiée par ses habitants. Une autre théorie voulait qu’elle se soit suicidée en se jetant dans un volcan sur le point d’entrée en éruption après une peine de coeur.

Enfin il y avait cette rumeur selon laquelle elle aurait été victime d’une expérience malheureuse d’extra-terrestres qui avaient compris trop tard qu’un terrien ne survit pas quand on lui coupe la tête.

Tous s’accordaient à dire qu’elle avait disparu sans laisser l’ombre d’une trace.

 

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Commentaires
P
Comme la chape de plomb<br /> <br /> Du voile de bienséance<br /> <br /> Avait perdu puissance:<br /> <br /> Elle OSAIT CRIER NON<br /> <br /> Comme une traine-savates!<br /> <br /> Ce fut telle explosion<br /> <br /> Que les laisses-cravates<br /> <br /> Serrèrent à l'unisson<br /> <br /> Les cous si rebondis<br /> <br /> Qu'au moindre amadou<br /> <br /> C'eût été l'incendie...<br /> <br /> Dans un réflexe fou<br /> <br /> Elle put prendre fuite<br /> <br /> Aux gens compréhensifs de découvrir la suite...
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