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Des mots plein la tête
23 février 2024

Carrousel

Tout a commencé comme ça, tout simplement, comme n'importe quelle autre histoire. Une rencontre d'une banalité totale, sur un banc, face à un carrousel.

Ce jour-là, Cécile était passée à la poste porter un colis, à la banque régler un problème et après ces démarches, elle avait décidé de faire une pause en marchant au hasard. Marcher en rêvassant, flâner d’une boutique à l’autre sans entrer dans une seule, c’était sa façon d’oublier ses soucis et elle était arrivée ainsi sur la place.

La musique qui s’est fait entendre a attiré son attention. Poussée par la curiosité, elle a voulu savoir d’où elle venait et dès qu’elle a vu le manège, elle s’est approchée mais la vue des enfants juchés sur les chevaux l’a arrêtée à mi-chemin. Elle n’a plus l’âge de monter là-dessus. Elle se ridiculiserait. Alors elle s’est assise sur un banc vide près du manège et elle a commencé à regarder les chevaux passer avec ou sans cavalier. Mais c’est un autre manège qui est venu ou plutôt revenu dans son esprit, un vieux carrousel en bois flottant comme une image perdu dans sa mémoire. Florence, les vacances en Italie, un morceau de bonheur, il y avait longtemps…

C’était à Florence et il faisait chaud. Alors qu’elle visitait la ville avec ses parents, ils avaient débarqué sur cette place pleine de monde et dont elle a oublié le nom. Elle l’avait vu aussitôt, avec ses chevaux, et était devenue presque folle. Son père avait bien protesté mais devant son insistance, il avait cédé.

Perdue dans ses pensées, elle n'a pas remarqué tout de suite l'homme qui s'asseyait à côté d'elle avant qu'il ne lui parle :

« C'est la première fois que vous accompagnez votre enfant au manège ? »

Interloquée, elle lui a répondu « oui » sans réfléchir en se demandant de quel enfant et de quel manège il pouvait bien parler. C'est alors qu'elle s’est rappelé du manège, le vrai, avec les enfants.

« C'est lequel, le votre ? Lui a-t-il demandé.

  • euh, aucun, en fait, je n'en ai pas. Je me suis juste assise là comme ça. Je suis désolée, je n’avais pas compris votre question. »

Embarrassée, elle a rougi et s'est tue, envahie par la certitude qu’elle devait avoir l’air folle ou idiote. Elle n’a même pas eu l'idée de mentir, désigner un enfant au hasard, en espérant qu’il ne le connaisse pas, mais elle n'a pas osé. Mentir sans rougir, sans se faire prendre, elle n'a jamais su faire, elle ne sait pas. Chaque fois qu’elle a essayé, pour cacher une bêtise, se protéger, elle n’a eu que des ennuis.

Pris de court, l’homme l'a regardée d'un drôle d'air avant de sourire :

« Désolé. J'avais cru, à vous voir regarder le manège, que vous étiez en train de surveiller votre enfant. »

Ils sont restés silencieux pendant un moment, gênés, et elle en a profité pour regarder le manège un peu plus attentivement. Un manège à chevaux de bois, vieux, comme on en trouve dans des tas d'autres parcs. Pas aussi beau que celui de son enfance, mais il avait son charme.

Elle s'est demandé si l'homme assis à côté surveillait un enfant ou s'il s'est posé là, comme elle, pour se reposer. Elle a bien eu envie de lui poser la question, mais son mensonge involontaire, ce petit « oui » lâché trop vite, ça l'a bloquée, tout d'un coup. Ça faisait comme une barrière entre eux mais comment lui expliquer qu’elle s’est assise là à cause d’un morceau de musique et d’un souvenir ressurgi du passé. Elle n’a jamais aimé raconter sa vie, surtout pas à des inconnus. Et puis, ça ne l’intéresserait certainement pas.

Alors elle a cherché lequel pouvait être le sien, à lui. Le petit rouquin aux tâches de rousseur ? La petite avec son bonnet bleu si bien enfoncé sur la tête qu'on ne voyait pas une mèche de cheveux ?

« La mienne, c'est la blonde avec des couettes et une parka rose, lui a-t-il confié, comme s'il avait lu dans ses pensées. Elle s'appelle Cécile. »

Cécile n'a pas dit un mot. Cécile a juste lâché un « Oh » qui voulait tout et ne rien dire, mais n’a pu s’empêcher de sourire devant une telle coïncidence - la vie réserve parfois de drôle de surprises - et puis elle a cherché et quand elle l’a trouvée, elle a regardé l'autre Cécile avec ses couettes blondes et sa parka rose, elle qui a les cheveux noirs, coupés courts et une veste marron. Elle s'est alors rendu compte qu'en regardant bien, elle n'aurait pas imaginé qu'elle puisse être la fille de cet homme assis à côté d'elle, avec ses cheveux bruns bouclé et son teint olive.

« C'est le portrait craché de sa mère, lui a-t-il précisé ; à croire qu'il avait encore lu dans ses pensées.

  • Elle est jolie comme un cœur ; vous devez être tous les deux fiers d'elle. »

Elle a lâché cette phrase comme ça, parce que c'est tout ce qu'elle a trouvé à dire et puis c’est ce qu’on dit dans ces cas-là. Elle a aussitôt regretté ces deux phrases en voyant le visage de l'homme s'assombrir.

« oui, si sa mère revient un jour du Brésil, elle sera peut-être fière d'elle en la voyant. »

Elle a rougi, bégayé un truc du genre « Désolée, je ne savais pas », et s'est tu, se sentant plus sotte que jamais. Et puis elle s'est consolée comme elle l'a pu : ça aurait pu être pire ; au moins, elle n'est pas morte. 

Elle s'est aperçue alors qu'il s'était remis à parler, mais elle n'a pas écouté ce qu'il disait. Elle a voulu lui demander de répéter mais elle a renoncé en  le voyant sourire et tendre les bras en direction de sa fille qui arrivait en courant. Le manège s'était arrêté. La petite en avait marre de tourner. C'était l'heure de rentrer.

Il s'est levé, et alors qu'il s'apprêtait à lui dire au revoir, sa fille s'est écriée :

« C'est qui la dame, papa ? Comment elle s'appelle ? »

Elle a juste répondu :

« Je m'appelle Cécile, Cécile. »

Il les a regardées tour à tour et ils se sont sourit. Simplement.

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Commentaires
P
C'est une jolie rencontre<br /> <br /> Un petit rayon de soleil<br /> <br /> Instant volé d'éternité<br /> <br /> Rien ne se dit, rien ne se montre<br /> <br /> Parfois en cherchant le sommeil<br /> <br /> Son souvenir apportera sérénité
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